Acoustique : cornets et autres appareils non électriques. Jusqu'aux années 1930.

A. Contexte
Même si l'usage du cornet est très ancien, son apogée se situe au XVIII et XIX siècle.

A cette période les transports se font à cheval et en charettes.
Les communications sont directes puisque les gens ne s'éloignent pas de leur berceau natal, les courriers sont les seuls moyens d'échange d'information.
Comme sources d'électricité ion connait l'eau et le vent mais seules le bois et le charbon constituent des énergies stockables et transportables. Le stockage et la distribution d'electricité n'existent pas.

On peut penser que les appareils auditifs ne concernent qu'une minorité des citadins aisés.

B. Principe
L'ere acoustique recouvre deux principes :
Pour ce qui concerne la transmission aérienne des sons, il s'agit d'une concentration d’ondes sphériques divergentes en ondes sphériques convergentes avec un effet de résonnances acoustiques qui renforcent certaines zones fréquentielles.
Pour ce qui concerne la transmission solidienne ou osseuse divers procédés ont cohabités et ne seront pas traités ici pour l'instant.
Une troisieme catégorie un peu à part est constituée par les tympans artificiels (au sens appareil mécanique amovible) dont divers modeles ont existé.

Dans un tube, il y a une transmission des sons avec très peu d'atténuation entre l'entrée et la sortie. Parler à l'entrée du tube et écouter à l'autre extrémité revient en quelque sorte à parler à l'oreille tout en préservant les distances qu'exige la bienséance.
Dans un cornet il n'y a pas à proprement parler d'amplification mais une résonance de certaines zones de fréquences. Ces résonances forment une courbe de réponse avec de nombreux pics.

Grosso-modo, le champ auditif humain s'étend d'environ 20 à 20000 Hz, la voix de 100 à 8000 Hz et la partie la plus utile pour comprendre la parole de 400 à 4000 Hz
Parmi toutes les causes de surdités on peut distinguer deux catégories un peu plus fréquentes :
- les problèmes d'oreille moyenne (otites, perforation, catarrhe tubaire) ;
- le vieillissement naturel et prématuré (presbyacousie, traumatismes sonores).
La première provoque des surdités de transmission qui touchent plus les graves que les aigus au départ et autant la perception des sons faibles que forts.
La deuxième est responsable de surdités de perception affectant d'abord les aigus et la perception des sons faibles, les sons forts restant audibles de la même façon mais avec moins de discrimination.

Actuellement les surdité de transmission se soignent mais avant le XIXème siècle ce n'était pas le cas. A l'inverse la population atteignant des âges moins avancés qu'aujourd'hui les presbyacousies devaient être moins fréquentes.

On sait aujourd'hui qu'il faut amplifier la parole d'environ la moitié de la perte auditive pour permettre à un malentendant de la percevoir de manière confortable. Ainsi pour être utile un cornet devait donc avoir un pic de résonance sur la zone de fréquences qui correspond à la surdité. Il fallait en outre que ce pic soit suffisamment important pour être efficace. 

Dans le cas des surdités de transmission, plus courantes à l'époque, c'était en effet le cas (pour les modèles que j'ai pu tester). En revanche dans les surdités dues au vieillissement et dans les surdités génétiques, plus sévères, les cornets ne pouvaient avoir une grande efficacité.

C'est également ce que constatait Rattel en 1886 en écrivant "Nous sommes tombés d'accord pour dire que presque tous les cornets acoustiques sont construits de manière empirique. Il est trop évident que ceux qui ont été établis sans que, dans leur construction, on ait tenu compte ni des lois de l'acoustique ni de l'état si variable de l'oreille malade, il est trop évident, disons-nous, que ceux-là, perfectionnés ou non, ne seront jamais que des instruments imparfaits."
Parmi ceux qui ont le plus de qualités, il faut souligner le "London Dome" qui possède des caractéristiques remarquables et qui est devenu un des modèles les plus courants. C'est d'ailleurs un des deux seuls modèles qui se vendaient encore dans le catalogue Sears & Roebuck de 1913 (parmi des milliers d'articles sur plus de 1500 pages).

Courbes de gain de divers cornets :

 

C. Invention - apparition
Il est d'usage de supposer que la première aide auditive fut la main derrière le pavillon.
Il suffit d'observer des enfants jouer avec un tuyau : ils finissent tous, sans qu'on leur montre, par parler d'un côté qu'un camarade ira se placer à l'autre extrémité pour écouter. De ce principe sont nés deux types d'appareils : les porte-voix et les cornets.

Les premiers, fabriqués de plus longue date, servaient à rassembler les armées dans les plaines lors de combats guerriers. On en trouve des traces jusque dans la Grèce antique. Les seconds sont probablement nés de l'utilisation des premiers à l'envers. Il est plus difficile de savoir à quelle époque ils remontent. (C'est d'ailleurs l'objet d'une polémique historique au XVIIIeme siècle).
Certains auteurs indiquent qu’on aurait trouvé des cornets de bronze dans les ruines de Pompéi, on parle également de l’utilisation de coquillages par les phéniciens et de cornes d’animaux au moyen age (ces références sont controversées).
On connaît des modèles théoriques (jamais fabriqués) ou fabriqués en petite série vers la fin du XVIIème siècle comme ceux d'Athanasius Kircher, de Duquet, de Conyers, de William Bull.
Quelques modèles sont documentés au XVIIIème siècle : Le Cat, Itard, Bonnafont.

Cornet de LeCat

 

D. Commercialisation
C'est à partir de la fin du XVIIIème siècle que de nombreuses sources, en Europe (Angleterre, Allemagne, France), attestent de leur fabrication courante.
Leur fabrication et leur diffusion étaient probablement assez restreintes et souvent locales jusqu’au XIXème siecle.
A partir de cette époque, quelques fabricants émergent par leur production abondante. On peut citer Rein, Hawksley, Pilling, Franck Valery, Luer etc...
Il s'agissait souvent de fabricants de matériel médical à destination des médecins, chirurgiens ou hôpitaux.
Les malentendants se les procuraient directement chez le fabricant, ou chez des revendeurs (opticiens, pharmaciens, couteliers...)

En France, ces appareils se vendaient encore régulièrement jusqu’à la deuxième guerre mondiale !
Aux USA, on pouvait en acheter par correspondance chez Sears & Roebuck (l'équivalent de notre manufacture de Saint Etienne).

à New-York, Meyrowitz était opticien et fabricant d'instrument chirurgicaux. Fondée en 1875, son entreprise vendait quelques "otophones" à la fin du XIXème siècle. Une succursale (?) existe toujours à Paris et ne s'occupe semble-t-il que d'optique.

E. Formes et matières
 Il a existé de nombreuses formes d'appareils acoustiques dont Toynbee a proposé une classification :

  • 1) les appareils qui tiennent seuls dans l'oreille
  • 2) les appareils tenus à l'oreille par le sourd et à l'embouchure desquels s'exprime l'interlocuteur
  • 3) les appareils tenus d'un côté par le sourd et de l'autre par l'interlocuteur

puis Rattel y a ajouté la catégorie de tous les appareils divers n'entrant pas dans les trois premières et enfin Berger a fait la classification à la fois chronologique et fonctionnelle suivante (entre parenthèses la correspondance avec les auteurs précédents)  :

  • ear trumpet (2),
  • speaking tube (3),
  • pinna insert (1),
  • artificial eardrum (1 ou 4),
  • dentaphone (4)

Toutes sortes de matières ont pu être utilisées : métalliques (or, argent, cuivre, fer blanc, laiton...) animales (corne, écaille de tortue, ivoire pour les embouts) minérales (verre) végétales (bois, carton) et bien sûr synthétiques (gutta percha, celluloïd, bakélite).
Il s'agissait de favoriser la résonance -certaines matières étant réputées plus réfléchissantes que d'autres- mais aussi de rendre les appareils discrets et/ou esthétiques.

Voici quelques représentations :

 

 

Pour donner un aperçu on peut aussi se pencher sur les catalogues anciens.

En France, le catalogue de la maison Luer présente de très nombreux modèles en 1913 :

 

Bonnet et Cherfils en proposent encore 7 types différents (en différentes tailles) en 1933 :

  

 

 

F. Adaptation :
L’essai permet de juger de l’efficacité d’un modèle, il n'existe pas de méthode d'adaptation.
La discrétion a toujours été recherchée mais c'est la taille qui est souvent synonyme de puissance et en particulier la taille de l'ouverture.

Seul Marage a essayé d'en mesurer les caractéristiques et de les modifier en vue d'une amélioration des performances. Il a pour cela utilisé les flammes manométriques de Koenig.